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Sandra Rothenberger : “Le phénomène des baskets éthiques va s’accélérer”

Les baskets éthiques devraient suivre la même trajectoire que celle de l’alimentation biologique, en plus rapide

Comment analysez-vous le phénomène des baskets éthiques auquel on assiste ces dernières années ?
Tout d’abord, il est important de bien savoir de quoi on parle. Je constate que beaucoup de personnes ont encore du mal à faire la distinction entre éthique, ethnique, écologique… L’éthique, c’est la science de la morale. Lorsque j’explique cela à mes étudiants, ils modifient complètement les scénarii qu’ils imaginaient. Ils mettent de côté les aspects plus spécifiques que sont l’ethnique ou l’écologique pour se concentrer sur le nœud de la question de l’éthique, c’est-à-dire la volonté des consommateurs de ce type de produits d’être en accord avec leurs convictions morales.

Il s’agit donc d’une notion qui varie selon les personnes.
Tout à fait. La morale ne recouvre pas la même chose pour tout le monde. Pour certains, acheter des pommes bio, mais qui viennent d’Italie, est en accord avec leur code morale. Pour d’autres non, et ils préfèreront éviter les coûts environnementaux du transport en consommant local. Et puis bien sûr, il y a des personnes qui s’en fichent. Écologique, éthique, ethnique… Tout cela ne leur parle absolument pas.

Quelle est selon vous l’ampleur du phénomène des baskets éthiques ?
En chiffres bruts de production, c’est encore très faible. Nous sommes pour le moment dans une hype, mais une hype qui a le potentiel pour s’inscrire dans la durée. Personnellement, je pense que l’on assiste à une lame de fond qui va énormément s’accélérer au cours des dix prochaines années. Regardez le développement du bio dans l’alimentation. Il y a 10 ou 15 ans, c’était tout petit. Aujourd’hui, ça explose complètement. En assez peu de temps finalement, on est passé d’un phénomène marginal à quelque chose de tout à fait mainstream.

Je constate, surtout chez les générations Y et Z, une volonté très forte d’un retour aux sources, aux fondamentaux. Ces personnes sont mal à l’aise vis-à-vis de la manière dont on a produit les biens de consommation de masse jusqu’à présent et de la façon dont on a traité l’environnement et les personnes. Elles ne veulent plus acheter des produits les moins cher possible et sont, au contraire, prêtes à payer un peu plus pour des biens dont l’origine est connue, dont les fabricants prennent leurs responsabilités sociales et ne surexploitent pas l’environnement. C’est pourquoi des marques comme Veja ou N’go Shoes, dont les histoires sont positives et authentiques, connaissent un succès grandissant.

Le consommateur-type est donc en train d’évoluer
Absolument. D’ailleurs, en marketing, on parle désormais plus de prosumer. Ce prosommateur, en français, n’est plus un consommateur qui, passivement, consomme des choses, c’est quelqu’un qui produit, de concert avec l’entreprise. Si vous visitez les sites de Veja, par exemple, vous verrez que beaucoup de personnes y donnent leur avis. La marque cultive cela et en tient compte. Cela fait partie de sa stratégie.

La stratégie de Veja justement, comment l’analysez-vous ?
Tout d’abord, Veja a su mettre en place un excellent storytelling. Son histoire est belle et la marque la cultive à merveille pour créer de l’émotion chez ses clients. Elle me fait un peu penser à celle des glaces Ben&Jerry’s. On peut même parler de storydoing, dans la mesure où Veja place le prosumer au cœur de l’expérience d’achat. La marque a su se constituer une communauté et c’est elle qui lui donne du pouvoir sur le marché.
L’entreprise possède également un véritable argument de différenciation. Depuis ses débuts, Veja s’est positionnée dans la basket éthique et s’y est cantonnée et spécialisée.
Et enfin, Veja se concentre sur une cible bien précise: les générations Y, Z et les plus jeunes représentants de la génération X.
N’oublions pas non plus le grand souci porté au design des chaussures.

Que vous inspire le choix de Veja de ne pratiquement rien dépenser en marketing et en publicité ?
C’est vrai que Veja dépense peu dans ce domaine. Cependant, il ne faut pas en conclure que la marque n’a pas de stratégie marketing. Elle applique ce que l’on appelle une ‘stratégie marketing inconsciente’… de manière très consciente. Leurs choix stratégiques, leurs idées possèdent un pouvoir marketing intrinsèque. Des concepts comme l’upcycling, la we-integration ou les chaussures vegan sont tendances et parlent à leur public-cible. Par ailleurs, Veja mûrit bien ses communiqués afin que le bouche-à-oreille puisse faire le reste.

Cette nouvelle façon de produire peut-elle modifier le paysage actuel des fabricants de baskets ?
Il ne faut pas se leurrer, les géants ne vont pas disparaître. Cette nouvelle tendance va prendre du temps à se mettre en place. Produire éthique demande plus d’investissements, plus de réflexion. On est dans une filière moins axée sur les volumes et plus sur la qualité. C’est de la slow production, ce n’est pas quelque chose que l’on peut créer en masse. Veja, par exemple, effectue des contrôles rigoureux dans toutes les usines où ses chaussures sont produites. Dans le cadre d’une production à grande échelle, cela constituerait un travail colossal !

Mais les jeunes générations sont en demande de ce type de produits. Et de nos jours, tout va toujours plus vite, notamment grâce aux réseaux sociaux. Il suffit de voir l’ampleur qu’a prise un mouvement comme Friday For Futur en seulement deux ans. D’un point de vue marketing c’est complètement fou ! Et ça n’a été possible que grâce aux réseaux sociaux. On ne connait pas encore leur plein potentiel à déclencher de nouveaux mouvements…

Pourquoi la tendance des baskets éthiques ne touche-t-elle pour l’instant que le secteur de la mode et beaucoup moins celui du sport ?
Parce que là, on touche à la technicité des matériaux. Je pense qu’il n’existe tout simplement pas encore de matières qui soient à la fois à la pointe de l’innovation technique et à la fois écologiques.

L’argument tient pour l’aspect écologique. Mais pourquoi n’assiste-t-on pas à une évolution sur le plan éthique et social ?
C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup d’initiatives de ce genre pour l’instant. Mais je suis convaincue que grâce au mouvement auquel on assiste aujourd’hui, les grandes marques du sport finiront par développer cela. Je dis bien développer, car elles font déjà certaines choses en la matière. Seulement, elles n’utilisent pas l’argument de l’éthique dans leurs communications marketing parce que ce n’est pas leur positionnement sur le marché, au contraire des marques comme N’Go Shoes, Toms, etc.

Reconnaissez que le greenwashing n’est souvent pas bien loin…
À mon sens, il faut bien faire la distinction entre les initiatives qui sont là pour préparer ou prendre la température du marché et celles qui ne sont que de l’enfumage. Le marketing existe pour satisfaire le consommateur, mais il peut également permettre de le manipuler…
Cependant, le consommateur d’aujourd’hui est beaucoup plus mature, informé, exigent, demandant que par le passé. Il se laisse bien moins facilement manipuler. Les blogs, les réseaux sociaux, les commentaires en ligne, etc. lui permettent, plus que jamais, de ne pas se faire avoir. Et lorsqu’une marque est prise en flagrant délit de greenwashing, gare à elle. J’ai l’ai encore constaté récemment en Allemagne. Les consommateurs étaient révoltés et la marque a été littéralement lynchée sur la place publique des réseaux sociaux.

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