Café équitable : dans l’Est du Congo, Muungano se développe avec succès

Muungano vient d’être coachée par le Trade for Development Centre (TDC). Après deux ans de collaboration, Daniel Habamungu, directeur de la coopérative de café, et le Belge Raf Van den Bruel font le bilan d’une expérience “d’une grande valeur”.

Nous voici en République démocratique du Congo (RDC), le plus grand pays d’Afrique subsaharienne, avec plus de 2.300.000 km2. La coopérative Muungano est implantée au sud de Goma, en direction de Bukavu. C’est la Région des Grands Lacs, et surtout celle du lac Kivu. “Je suis arrivé chez Muungano en 2014, mais, je suis né dans le café, j’ai étudié grâce au café et appris sur le terrain.” explique Daniel Habamungu, directeur de la coopérative.

Une coopérative en progression constante

Au moment de sa création en 2009, la coopérative voulait apporter deux grandes réponses à des problèmes vécus par les agriculteurs. D’abord, il fallait empêcher les producteurs de prendre d’énormes risques en traversant le lac Kivu afin d’aller vendre leur café au Rwanda où les prix étaient meilleurs. “Ces traversées ont causé de nombreuses noyades et des morts”, rapporte Daniel, “Il fallait une solution”. Puis, autre constat : à l’époque, “chacun travaillait de son côté, sans organisation, sans coordination. Cela avait un impact négatif sur la qualité du café produit, du café au tout venant. Et ’absence de cohésion entre producteurs laissait la latitude aux acheteurs d’imposer un prix d’achat dérisoire.”

De 600 membres à ses débuts, Muungano (qui signifie d’ailleurs “union” en swahili) est passée à plus de 4200 membres aujourd’hui, dont 1736 femmes. La coopérative est présente dans seize villages, son siège social est à Kiniezire et ses services aux membres sont variés : vente de la production, distribution des plantules de caféiers, formation en agroécologie, en leadership, en épargne et crédit, etc. “En parallèle au nombre de membres, l’évolution de la production de café vert arabica est aussi exponentielle. Les ventes suivent : de trois tonnes en 2009, Muungano est passée à plus de 112 tonnes vendues en 2017”, se félicite Daniel Habamungu. Le café exporté est dit “fully washed” : il passe par des stations de lavage où les récoltes sont transformées via fermentation, lavage et séchage. C’est un café de très haute qualité aussi appelé K3, pour lequel Muungano a obtenu les certifications Fairtrade et bio. “Et nous sommes en cours de certification Rainforest, mais ce n’est pas facile, cela coûte cher, il y a beaucoup de dossiers à remplir et tout prend beaucoup de temps. Il faut compter trois ans.

Des menaces planent néanmoins sur l’acquisition du prochain certificat : “Dans notre pays, les certificateurs risque de ne plus venir faire les inspections. Selon eux, il y a trop de risques d’insécurité ou liés à Ebola.” Ces certificats attestant de la durabilité sont pourtant une nécessité pour Muungano car la grande majorité des clients les exige.

Au premier plan : Daniel Habamungu, directeur de la coopérative. En arrière-plan : la parche (le café conserve une coque ou «  parche »  après le processus de lavage) est retirée lors du séchage, juste avant l’exportation

Qui est le coach ?

En moins de dix ans, Muungano a acquis une réputation internationale. “Je les connaissais de mon travail précédent”, raconte Raf Van den Bruel, le coach belge de Muungano. Ce consultant qui travaille notamment pour le TDC a une expertise de plus de 15 ans dans le secteur : “J’ai commencé à forger cette expertise chez Oxfam Fair Trade aux débuts des années 2000. J’y développais la chaîne “café” issu du commerce équitable via l’achat direct et le développement de produits, en collaboration avec de grands torréfacteurs belges”, raconte-t-il. 

En 2014, il se lance dans sa propre aventure de consultance et fonde Coffee Lab Independent pour offrir une expertise aux différents acteurs du secteur. Ses premiers clients sont des coopératives et des projets de développement dans le café. “Maintenant, j’ai aussi l’opportunité de travailler avec d’autres, du producteur aux clients finaux, en passant par l’importateur, les marques de café et les grands distributeurs. Bref, toute la chaîne !

Un secteur aux enjeux complexes

Quelles sont les grandes tendances actuelles du secteur ? “Les producteurs, en se basant sur de nouvelles techniques de fermentation, se différencient de plus en plus au niveau de la qualité et du profil gustatif du café. Par ailleurs, au fil du temps, la durabilité est devenue très importante pour l’ensemble de la chaîne, y compris pour les entreprises. L’achat et surtout la production de café certifié ont explosé. Ces évolutions permettent à certains producteurs de percevoir des prix plus élevés sur des marchés spécifiques. Certaines choses ne changent malheureusement pas : la pauvreté et la faible position des producteurs, surtout en Afrique, restent très problématiques. Les certifications ont un impact positif, mais ne sont pas suffisantes pour changer la donne. Le prix de base du café vert mondial est de nouveau trop bas et la concentration de la force d’achat autour de grands conglomérats continue d’augmenter rapidement, tirant les prix à la baisse”, décrit Raf.

Dans l’est de la RDC, le contexte est plus particulier encore : “Après les années de guerres et de grande instabilité, la chaîne commerciale du café arabica s’était brisée. Entre 2008 et 2010, la plupart du café était vendu illégalement aux pays voisins. Mais un vrai business s’est développé depuis et de grandes entreprises comme Starbucks achètent dans la région, même s’il est parfois encore compliqué d’y travailler”, analyse Raf.

Le coaching, une approche participative

Ces connaissance et compréhension globales de Raf étaient ce qu’il fallait pour faire progresser Muungano : “Comment rechercher de nouveaux clients, la façon de se présenter en fonction du profil de ceux-ci, comment se renseigner sur la situation du marché du café au niveau international et régional, ou encore comment calculer les coûts d’un conteneur avant de signer un contrat. Tout cela sont des choses que Raf nous a apportées en deux ans”, énumère Daniel. “Le coaching est l’une des meilleures approches car elle nous fait participer en tant que bénéficiaire, directement”. Raf ajoute : “Beaucoup de programmes et budgets d’appui restent focalisés sur l’augmentation de productivité et sont exécutés par les grands traders et acheteurs eux-mêmes. Il faut être réaliste : les intérêts du producteur/vendeur ne sont pas toujours les mêmes que ceux de l’acheteur/exportateur. C’est pour cela que l’intervention du TDC, qui se focalise sur les opportunités de marché pour les producteurs, de manière indépendante, est assez unique et d’une grande valeur.”

Avec ce type de café «entièrement lavé», le processus de séchage est crucial. Il nécessite beaucoup d’attention, de travail et est déterminant pour la qualité. Pendant les heures d’ensoleillement les plus vives, le café est recouvert pour se protéger des rayons du soleil, retarder le séchage et améliorer la qualité. 

Les premiers challenges : mieux comprendre le contexte et les acheteurs

Muungano est déjà bien implantée au niveau régional avec un partenaire-client anglais. Un des principaux challenges de la coopérative en 2017, au démarrage du coaching, était d’étendre sa clientèle tout en continuant à entretenir la relation privilégiée avec son client anglais historique. “Le hic, c’est qu’ils ne connaissaient pas très bien le marché. La première chose fut donc de les informer et de leur indiquer comment et où chercher les informations. Il faut toujours être bien au courant de ce qui se passe globalement et dans la région”, détaille Raf.
Il faut en outre savoir bien parler aux acheteurs : “Le but est d’initier des relations avec des clients potentiels et de rester en contact avec eux dans le futur“, indique Raf, “La coopérative devait aussi comprendre que la relation ne se termine pas après avoir envoyé un échantillon et un email”. Mieux comprendre aussi qui Muungano a face à elle : “En juin 2019, nous avons fait un déplacement en Europe qui a été très important pour nous. Nous avons été en contact direct avec différents importateurs de café en Belgique. Nous avons également visité une foire commerciale à Berlin. Ce fut très intéressant et cela nous a permis d’apprendre à nous présenter aux acheteurs”, raconte Daniel. “En Europe, les acheteurs ont parfois peur de se fournir en direct auprès de coopératives”, reconnaît Raf, “Ils craignent les retards, les problèmes de communication. Grâce à ces rencontres, Muungano a compris qu’il n’y a pas que la qualité du café qui est importante pour convaincre les clients”.

De bons résultats déjà atteints grâce à l’accompagnement

Depuis 2017, Muungano a acquis deux nouveaux clients : “Malgré le contexte compliqué du marché, ils ont réussi à développer de solides collaborations”, se réjouit Raf, “Leur plan d’affaires est réaliste et ils ont acquis la compréhension de ce qu’est un acheteur de café. Le voyage en Europe leur a donné beaucoup d’informations qu’ils ont su digérer pour entreprendre leurs prochaines démarches commerciales. Ces prospects sont une base importante pour leur avenir.”

Nous avons aussi constaté que la diversification était importante : nous avions du K3 (le fully washed) et, à présent, nous travaillons aussi le K4”, explique Daniel. Le K4 est un café préparé par le producteur, qui ne passe pas par les stations de lavage et qui, de ce fait, est de moins bonne qualité et moins cher. “Et enfin il y aussi le “natural”, fait à partir de grains séchés. Celui-là intéresse beaucoup une niche de clients, aux Etats-Unis principalement.

À présent, Muungano vise le monde : “On se positionne en Allemagne, en Suisse. Le marché européen est favorable au café K4. Mais on voudrait aussi toucher le marché asiatique, et particulièrement japonais avec le K3. Il y a de bons acheteurs là-bas.

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