FairICT_Agbogbloshie Ghana_e-waste _ wiki commons_web

TIC et durabilité : grands défis, nombreuses opportunités

Continuer à utiliser ses appareils plus longtemps est la meilleure stratégie pour réduire l’impact des TIC. C’est en effet leur production qui a le plus fort impact. Utiliser un ordinateur portable pendant 6 ans, au lieu de 4, réduit vos émissions de CO2 de 28 %

« La filière extrêmement complexe des équipements TIC porte gravement atteinte à la planète et à certains êtres humains. Les entreprises d’électronique doivent assumer leurs responsabilités et – pour commencer – œuvrer à une plus grande transparence dans la filière. Une solution consisterait à combiner le pouvoir d’achat de gros clients comme première étape pour poser des exigences de durabilité et améliorer les conditions de travail au sein de la filière », nous confie Kim Claes de Fair ICT Flanders.

Le projet Fair ICT Flanders aide les hautes écoles et les universités, les entreprises privées et les autorités locales à adopter des mesures concrètes en faveur d’une politique plus durable en matière d’achat et d’utilisation de technologies de l’information et de la communication (TIC). Avec le soutien du gouvernement flamand, les initiateurs – CATAPA, Bond Beter Leefmilieu et Ondernemers voor Ondernemers – mettent en place des réseaux d’apprentissage et de recherche. Ils développent également de bons exemples et soutiennent huit organisations pilotes.

Équitable au sens large

Bien que le projet soit intitulé Fair ICT Flanders, sa coordinatrice Kim Claes parle de « TIC équitables et circulaires ». « Nous aspirons à une justice écologique et sociale au sein de la filière des TIC. Nous avons remarqué que le seul vocable d’« équitable » risque de reléguer au second plan l’aspect écologique, tandis que celui de « circulaire » tend à négliger l’aspect social. C’est donc tout à fait consciemment que nous prenons en compte ces deux aspects. »

Fair ICT Flanders aide les organisations à poser, lors de leurs achats de TIC, des exigences de durabilité qui correspondent à leur mission et à leur vision. Il n’existe en effet pas de label unique attestant que : « cet appareil est durable sur tous les plans ».

« Nous avons analysé les normes, certificats et systèmes de monitoring existants et force nous est de constater qu’ils ont chacun leurs accents spécifiques, » confirme Kim. « Un label s’avère très utile. Il vérifie en effet qu’un fournisseur tient effectivement ses promesses. Il n’empêche que les labels ont aussi des côtés négatifs. Ainsi, même s’ils sont des organismes de certification extrêmement fiables, TCO Certified et Blauer Engel ne possèdent pas de normes pour tous les appareils. En tant qu’acheteur de TIC, vous devez en être conscient avant d’exiger qu’un fournisseur propose un certain label. »

« Bref, un label n’est qu’un des outils permettant de pérenniser plus encore vos TIC. Vous pouvez également inclure vous-même des critères dans les cahiers spéciaux des charges, collaborer avec des organisations possédant les connaissances nécessaires ou encore engager un dialogue avec vos fournisseurs potentiels. » C’est parfois un obstacle, indique Kim. Le fait de vouloir, en tant qu’organisation, poser des exigences en termes de durabilité complexifie le processus d’achat. Sur le plan technique, les acheteurs de TIC savent déjà parfaitement ce dont ils ont besoin, mais il leur faut à présent aussi s’impliquer sur le plan de la durabilité afin de pouvoir poser les bonnes questions aux fournisseurs.

De plus, ils veulent évidemment devenir plus durables sans compromettre la qualité de leurs systèmes TIC. « C’est possible sans nécessairement toujours disposer des tout derniers équipements en interne. Les acheteurs de TIC n’en sont toutefois pas encore tous convaincus. » Fair ICT Flanders tente donc d’insuffler un changement de mentalité.

Pourquoi les TIC doivent-elles devenir équitables et circulaires ?

De l’exploitation minière au traitement des déchets, en passant par l’assemblage et la consommation, un sérieux travail doit être mené à chaque maillon de la filière des TIC. « Il y a donc beaucoup de choses à faire », affirme une Kim Claes.

Dans l’exploitation minière et les usines d’assemblage, les violations des droits humains, voire l’esclavage moderne, sont plus la règle que l’exception. La santé des travailleuses et travailleurs est quant à elle aussi fréquemment mise en péril. « À cela s’ajoute encore la triste réalité qu’en fournissant des revenus à des groupes armés, l’extraction de certains minerais perpétue des conflits violents, » poursuit Kim Claes.

Tant l’exploitation minière que la production des TIC ont par ailleurs de lourdes répercussions sur le plan environnemental. « Les usines sont largement tributaires des combustibles fossiles. Saviez-vous, par exemple, que l’énergie nécessaire depuis 2007 rien que pour produire des smartphones équivaut à la consommation annuelle totale d’un pays aussi gigantesque que l’Inde ? »

Les consommateurs et consommatrices doivent en outre assumer leur responsabilité. « Leurs ordinateurs portables, smartphones et autres sont beaucoup trop rapidement considérés comme hors d’usage, en moyenne après 1,5 à 2 ans. La montagne de déchets grandit à vue d’œil. Quatre-vingts pour cent de ces déchets électroniques ne sont pas recyclés et se retrouvent dans des décharges illégales en Afrique ou en Asie. Ce qui accroît encore l’énorme impact généré par la production. Des études montrent qu’utiliser un ordinateur portable durant six ans au lieu de quatre réduit de 28 % l’impact en termes de CO2. Quant aux coûts, ils diminuent dans une même proportion lorsque vous utilisez un appareil trois années de plus. D’un point de vue économique aussi, cela s’avère dès lors intéressant d’utiliser plus longtemps ses appareils, » poursuit Kim Claes.

Enfin, le manque de transparence des fabricants de matériel électronique pose un gros problème. « Les marques ne sont généralement pas propriétaires des usines qui fabriquent leurs appareils et leurs pièces. Et elles prennent aussi trop peu de mesures pour faire face aux risques environnementaux et sociaux. Cela aussi doit changer », déclare Kim.

En tant qu’acheteurs de TIC, vous avez le pouvoir de changer les choses

Les gouvernements peuvent obliger les entreprises à prendre leurs responsabilités. Mais même en tant que consommateur, vous avez plus de pouvoir que vous ne le pensez. Certainement si vous n’achetez pas qu’un seul appareil, mais qu’en tant que grande organisation, vous investissez continuellement dans les TIC. Kim Claes : “Plus les grands consommateurs formuleront leurs exigences en matière de TIC équitables et circulaires, plus les producteurs devront en tenir compte”.

C’est assurément le cas lorsque les acheteurs harmonisent en partie leur demande pour envoyer un message univoque aux entreprises d’électronique. « Sur ce plan, l’ONG Electronics Watch réalise un travail très précieux, » précise Kim. « Tous les responsables d’achats publics, membres de ce réseau, intègrent les mêmes clauses standards dans leurs appels d’offres. Cela impressionne davantage un géant de l’électronique qu’une demande émanant d’une seule autorité locale belge. »

Electronics Watch collabore en outre étroitement avec des organisations locales dans les pays producteurs de TIC, essentiellement en Chine, dans le Sud-Est asiatique et en Europe de l’Est. Cela leur permet d’avoir une bonne vue d’ensemble des conditions sur le lieu de travail.

Kim Claes : « Un partenariat avec Electronics Watch est l’un des moyens par lesquels la ville de Gand, par exemple, entend rendre sa politique en matière de TIC plus durable à l’avenir. L’administration communale accorde déjà une attention particulière aux achats équitables de TIC et élabore une politique de réutilisation claire. Afin de comparer toutes les options, elle travaille également avec Fair ICT Flanders, CATAPA et VVSG (ndlr : Association des villes et communes flamandes) ».

Fair ICT Flanders aide les entreprises à mettre en place une politique plus durable en matière de TIC

Depuis la mi-2019, Fair ICT Flanders appuie et conseille trente organisations pour qu’elles adoptent une politique et une utilisation plus durables de leurs équipements TIC. Après un appel lancé aux autorités locales, ainsi qu’à des établissements d’enseignement supérieur et des entreprises privées, ces organisations ont entamé un parcours informatif d’une petite année.

Kim Claes : « Nous avons d’abord identifié les besoins des responsables des TIC et leurs connaissances actuelles des problèmes rencontrés dans la chaîne de production. Ces informations nous ont servi à mettre en place un parcours d’apprentissage, qui a pris la forme d’une série d’ateliers et de webinaires à destination des participants. »

Quels sont les grands problèmes rencontrés dans la filière des TIC ? Comment créer, au sein de votre organisation, une forme de soutien à des TIC équitables et circulaires ? Comment fixer de manière légale les exigences d’un marché public en la matière ? Et quels sont les labels et normes fiables ? Tout cela est abordé au sein du réseau d’apprentissage (leernetwerk). Fair ICT Flanders a par ailleurs donné la parole à un organisme de certification et à Electronics Watch.

« Durant le trajet, nous menons également des recherches. Nous regroupons toutes les informations dans une boîte à outils conviviale et claire pour les organisations participantes. C’est là en effet l’un des écueils majeurs : bon nombre d’organisations ont la volonté d’opter pour des TIC équitables, mais les outils concrets pour y parvenir leur manquent. »

Des TIC durables en pratique

Quelques-unes des 30 organisations participantes se sont depuis lors engagées à devenir des organisations pilotes et à prendre des mesures effectives en ce sens. « Elles s’engagent à investir à long terme du temps et des ressources dans une approche durable des TIC, pour que les bonnes intentions ne soient pas mises de côté à la fin de l’appui de Fair ICT » nous confie Kim. Fair ICT Flanders les aide en effet à mettre leurs enseignements en pratique. Et de le faire d’une manière qui leur convienne.

« Ainsi, outre sa solide politique de durabilité visant à prolonger la durée de vie de ses équipements, l’université de Louvain (KULeuven) met fortement l’accent sur les droits humains. Elle a pour ce faire inclus une clause dans le contrat conclu avec son fournisseur, avec lequel elle entretient un dialogue permanent. Enfin, la KULeuven diffuse les connaissances acquises tant en interne qu’à l’extérieur de l’université. En intégrant la connaissance de la filière à la recherche scientifique, l’université peut également avoir à terme une incidence positive sur le mode de production des équipements TIC, » indique Kim.

« Parmi les bons élèves dans le secteur privé, nous pouvons citer l’entreprise de mobilier Van Hoecke. Cette PME de Sint-Niklaas opte sciemment pour une utilisation plus longue de ses équipements et pour leur réparation. Van Hoecke collabore également avec Recupel pour recycler ses appareils mis au rebut. »

L’UGent a, de son côté, exigé un label TCO Certified pour son dernier contrat-cadre, conclu pour des ordinateurs portables entre autres. L’université de Gand élabore de surcroît une politique globale de prolongation de la durée de vie de ses équipements TIC. L’UGent s’engage aussi fortement à motiver le personnel et les étudiants pour des TIC équitables et circulaires.

Tous ces exemples parlants cités par Kim ont été nominés au premier Fair ICT Award. « Nous entendons ainsi braquer les projecteurs sur les organisations qui s’efforcent de pérenniser leur politique et leur utilisation des TIC. Et ce n’est pas tout : leur action inspire d’autres entreprises et organisations. » Sur son site web et sa page Facebook, Fair ICT Flanders présente toutes les organisations nominées. « Car, après tout, il n’y a bien entendu pas que la gagnante qui constitue un bon exemple. »

La KULeuven, récente lauréate, partage son approche dans cette vidéo :

Depuis la remise de l’award, Fair ICT Flanders est passée à l’étape suivante avec les organisations pilotes, en créant des interactions entre-elles. Kim Claes : « Une rencontre est déjà prévue avec les informaticiens des universités flamandes. Un peu partout, nous voyons beaucoup de bonnes volontés, raison pour laquelle nous les réunissons en vue de partager des expériences. »

Fair ICT Flanders ambitionne aussi d’impliquer davantage de petites entreprises et organisations, telles que Van Hoecke ou l’administration communale de Laakdal. « Les plus petites organisations ont plus souvent le sentiment qu’une politique durable en matière de TIC leur coûte beaucoup d’énergie sans avoir un grand impact. L’impact est en effet moindre, proportionnel à leurs achats ; investir dans la prolongation de la durée de vie des appareils est toutefois possible, même dans la plus petite entreprise. Et cela représente également une contribution très précieuse, » poursuit Kim.

Voici déjà ce que vous pouvez faire au sein de votre organisation

Après avoir lu cet article, vous souhaitez vous aussi utiliser les TIC de manière plus durable ? Quelques conseils pratiques :

  • L’appareil le plus durable est celui que vous n’achetez pas. Analysez donc si vous pouvez utiliser les appareils de façon plus efficace. Un nouvel appareil est-il vraiment nécessaire ? Pouvez-vous installer une grande imprimante dans un endroit central de vos locaux plutôt que 20 petites dans les bureaux individuels ? « Ne réfléchissez pas en termes d’appareils, mais bien de solutions répondant à vos besoins, » conseille Kim. « Pensez aussi à l’entretien et à la protection des appareils, et prévoyez par exemple des housses d’ordinateur portable et des protections d’écran. Et surtout, gardez vos appareils plus longtemps en service. C’est la meilleure stratégie pour réduire les émissions de CO2 et l’impact général des équipements TIC. »
  • Donnez une seconde vie à vos appareils lorsqu’ils ne vous conviennent plus. Vous pouvez les revendre d’occasion, les donner à des organisations de seconde main ou les transmettre au sein de votre propre organisation à vos collègues dont ils rencontrent les exigences. « Plusieurs administrations communales donnent ainsi leurs ordinateurs aux écoles primaires de la ville », se félicite Kim.
  • Réparez, mettez à niveau ou optez pour du matériel reconditionné. « Un appareil devenu lent est trop souvent immédiatement déclassé. Ajouter de la capacité de stockage supplémentaire ou remplacer la batterie constitue bien souvent une meilleure piste, » affirme Kim. « Malheureusement, certains appareils, les smartphones notamment, sont difficiles à réparer. Les marques et les législateurs – ont encore un long chemin à parcourir sur ce plan. » Vous pouvez également faire reconditionner vos appareils (ou en acheter des reconditionnés). Ces appareils passés en revue et remis à neuf par des professionnels sont alors parfaits pour durer quelques années de plus.
  • Achetez des appareils réparables, afin de pouvoir les utiliser plus longtemps. « Dans votre cahier spécial des charges, vous pouvez formuler des exigences concernant la remplaçabilité et la disponibilité des composants les plus importants, tels que la batterie et la carte mère. Il est préférable d’exclure d’emblée les appareils dont la mémoire RAM, le SSD ou le disque dur ne peuvent pas être mis à niveau. »
  • Entamez un dialogue avec les fournisseurs sur la circularité, la durabilité et les violations des droits humains au sein de la filière. « En posant des questions critiques, vous encouragez les marques d’équipements TIC à contrôler et à améliorer leur filière. Nous recommandons également de formaliser dans les contrats l’application par les marques d’une « diligence raisonnable » en termes de droits humains – ou Human Rights Due Diligence – tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, » suggère Kim.
  • Retournez les appareils mis au rebut afin qu’ils soient recyclés. « Pour de nombreuses organisations, augmenter le taux de collecte demeure une tâche importante. Quelle que soit l’importance d’un bon recyclage, il faut toutefois considérer cette option en dernier lieu », déclare Kim. « Démanteler un appareil jusqu’au niveau de ses matériaux et le transformer en un nouveau engendre en effet toujours beaucoup d’émissions de CO2. »
Votre entreprise ou organisation souhaite-t-elle également travailler de manière plus responsable ? Veillez donc à ne pas négliger le département ICT. Les équipements électroniques sont à l’origine de nombreuses émissions de CO2 et de souffrances humaines. Une politique en faveur de TIC équitables et circulaires est en mesure d’améliorer la situation. Fair ICT Flanders est heureux de vous aider dans cette démarche.
Crédits Photos :
1. Agbogbloshie Ghana : les déchets électroniques
2. Femme en train de lixivier de l’étain à partir de déchets rocheux à Machacamarca – Oruro, Bolivie. Photo : Isabella Szukits – Südwind
3. Salon des TIC – Seagate – Wuxi_China_Factory_Tour
4. Travailleurs du secteur des déchets électroniques – Photo : FairICT
5. Marche pour son propre développement contre l’exploitation minière, Colombie – Photo : FairICT

Lisez aussi

Fairphone lance la troisième version de son smartphone

Des déchets électroniques aux émissions massives de CO2, en passant par les conditions de travail difficiles et les pratiques d’approvisionnement dévastatrices, l’industrie des smartphones contribue grandement à certains des plus graves problèmes environnementaux et de respect des droits humains dans le monde.
Face à cette situation, Fairphone, une entreprise sociale néerlandaise, a pris le pari de faire de la commercialisation d’un smartphone un outil de changement. La troisième version de son smartphone, éponyme, vient d’arriver sur le marché.

Le coût-vérité des GSM et tablettes: En quête d’une électronique équitable

GSM, smartphones, PC, laptops, tablettes… rares sont ceux d’entre nous qui peuvent encore s’en passer ! Mais avez-vous déjà réfléchi à ce que coûte réellement un appel mobile ou un courrier électronique ? Ou à l’impact de l’électronique moderne en termes de matières premières, de conditions de travail et d’environnement ?

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email
Print

Ce site utilise des cookies pour vous assurer la meilleure expérience utilisateur possible.