Bénéficiant d’un niveau élevé de reconnaissance et d’une perception positive, le commerce équitable peine cependant au niveau des ventes. Le profil des consommateurs et les freins à l’achat apportent un début d’explication.
Le Trade for Development Centre d’Enabel propose quelques pistes d’action pour augmenter l’attention des consommateurs au commerce équitable.
Le 25 mars, 75 agents du Service public de Wallonie participaient à un Midi du Développement durable consacré entièrement au commerce équitable.
Après une introduction aux principes de ce type de commerce par la campagne “Communes du commerce équitable”, et avant une présentation du label Prix Juste Producteur qui valorise les filières locales, le Trade for Development Centre d’Enabel y a présenté un état des lieux du secteur en Belgique.
Le TDC présentant un état des lieux du commerce équitable en Belgique lors d’un Midi du développement durable organisé par le SPW.
Dans notre pays, la situation du commerce équitable est contrastée. Il jouit d’une reconnaissance forte et d’une perception positive. Trois chiffres parmi d’autres l’attestent :
- 85% des Belges ont déjà entendu parler de commerce équitable.
- 70% des Belges estiment important de pouvoir en acheter les produits.
- Lorsqu’ils en achètent, les consommateurs sont satisfaits des produits équitables : ils leur accordent une cote de 7,4/10.[i]
Par ailleurs, lorsque l’on demande aux personnes vivant en Belgique ce qu’ils entendent par consommation responsable, « acheter des produits issus du commerce équitable » arrive dans le top 10 des réponses avancées, loin derrière des pratiques écologiques comme recycler, réutiliser, réparer, acheter des produits locaux issus des circuits courts, mais devant la limitation de l’achat de produits neufs et le choix de sources d’énergies renouvelables.
Q : Que signifie consommer de manière responsable pour vous ? Vous pouvez donner au minimum 1 et au maximum 3 réponses. Source : Enquête d’opinion sur la consommation responsable réalisée par Incidence en 2023 pour le Trade for Development Centre d’Enabel.
Pourtant, le montant moyen par Belge d’achats de produits équitables reste assez faible : 42 euros par personne en 2023. Cela représente une hausse en valeur par rapport à l’année précédente, mais, si on tient compte de l’inflation de cette année-là, une baisse en volume.
+ 4,9% pour les produits du Sud, mais inflation de 12,7% => Baisse en volume. Augmentation des produits du Nord due à une modification de la méthode d’estimation des ventes des produits « Prix Juste Producteurs ».
Si abstraction des produits PJP, augmentation de 0,49%. => Baisse en volume
Une typologie des consommateurs
Le profil des consommateurs, défini dans le cadre du baromètre 2024 du commerce équitable, apporte une première explication de l’écart entre image positive du commerce équitable et la relativement faible consommation des produits.
Un coup d’œil au diagramme ci-dessous, nous apprend que le groupe des « rejectors » est pratiquement aussi important que celui des « enthousiastes ». Le premier groupe est composé de personnes n’ayant pas une idée claire de ce qu’est le commerce équitable et ne voient pas pourquoi ils devraient payer plus cher pour un produit. Les seconds sont bien entendu ceux qui consomment le plus de produits équitables, voudraient en voir davantage dans les magasins, mais sont demandeurs de garanties sur l’impact environnemental de ces produits.
Entre les deux, les « neutres » et les « sceptiques » représentent ensemble 64% des consommateurs. Les « neutres » connaissent très bien le commerce équitable, mais ce n’est pas pour cela qu’ils en achètent régulièrement les produits ; ils sont prêts à payer légèrement plus, mais n’ont pas le sentiment de contribuer aux droits des travailleurs/producteurs en achetant équitable. Les « sceptiques », quant à eux, ne sont pas spécialement convaincus de l’intérêt du commerce équitable et ne font pas spécialement attention au fait d’acheter équitable ou non.
Si elle est largement partagée, l’image positive du commerce équitable repose donc sur une base très fine, peu solide.
Travailler sur les prix réels et leur perception
Se pose alors la question de savoir comment faire progresser le commerce équitable auprès des consommateurs, pour qu’ils y consacrent plus d’attention.
D’autant que le pouvoir d’achat et le coût de la vie sont, avec la santé, les principales préoccupations des Belges en 2024. Et que, même s’ils sont nombreux à déclarer être prêts à payer plus pour des produits équitables, la perception d’un prix plus élevé reste le frein principal à l’achat.
Travailler sur les prix réels et la perception qu’en ont les consommateurs est donc un enjeu essentiel. À cet égard, l’arrivée depuis plusieurs années de la grande distribution a déjà permis de rendre les produits équitables plus accessibles. En proposant des alternatives sous leurs marques de distributeurs, ces acteurs ont réussi à aligner les prix sur des niveaux attractifs tout en proposant des produits labellisés Fairtrade. Il apparaît fondamental de communiquer sur ce positionnement prix, en réalisant et partageant des comparatifs objectifs de produits de grande consommation.
Il est aussi nécessaire de communiquer les rapports qualité/prix. Comparer un produit équitable de marque avec un produit « blanc », premier prix, n’a pas beaucoup de sens.
Plusieurs études de Fairtrade International ont montré, qu’à rapport qualité/prix similaire, il existe aujourd’hui des propositions équitables à des prix plus attractifs que ceux des produits non équitables.
Enfin, rappeler qu’un produit équitable n’est pas plus cher si on prend en compte les coûts cachés liés aux externalités. Un produit non équitable devrait souvent être commercialisé à un prix plus élevé s’il était tenu compte de salaires décents et de productions respectueuses de l’environnement.
Diversifier l’offre
Avoir une offre plus étendue et une meilleure disponibilité des produits équitables sont deux éléments qui inciteraient les consommateurs à acheter (plus souvent) des produits équitables. En 2022, le baromètre du commerce équitable a montré que les consommateurs ne pouvaient, en moyenne, que citer 5 produits équitables différents.[ii]
Le TDC continuera à mettre en avant la diversité des produits, des entreprises et des réseaux de distribution du commerce équitable.
Ce qui inciterait à acheter (plus souvent) des produits équitables. Source : Baromètre 2024 sur le commerce équitable.
Séduire les nouvelles générations
Le 3 décembre 2024, lors d’un webinaire organisé par le Trade for Development Centre, Nicolas Lambert, chargé de cours en marketing et communication à l’UClouvain, a mis en lumière un élément déjà apparu dans le baromètre 2022 du commerce équitable. « Ce qui me préoccupe, c’est que les connaissances des jeunes se détériorent et qu’ils deviennent de plus en plus critiques à l’égard du commerce équitable ». Par exemple, Les 16-34 ans connaissent moins bien les principales caractéristiques du commerce équitable que les catégories d’âges supérieures.
« Si le commerce équitable veut aller de l’avant, il est important de trouver les mots justes pour attirer les jeunes. Si les marques ou les entreprises se positionnent uniquement sur l’aspect équitable, elles risquent de se retrouver dans une ‘niche’ », ajouta-t-il.
Sensibiliser les jeunes dans les écoles est d’ailleurs une des principales initiatives pointées par les personnes interrogées pour sensibiliser au commerce équitable (voir le schéma ci-dessous).
Les initiatives qui pourraient sensibiliser les consommateurs. Source : Baromètre 2024 sur le commerce équitable
Le TDC a donc décidé de créer une pièce de théâtre qui sera jouée dans les écoles et les centres culturels. Une pièce de théâtre, décrivant des situations réalistes et mettant en scène des personnages avec lesquels les jeunes peuvent s’identifier, est un bon moyen de les sensibiliser à l’impact de notre consommation de chocolat sur les droits humains et l’environnement.
Utiliser les produits locaux comme porte d’entrée
A part le lait, les produits identifiés comme équitables achetés par les Belges sont toujours des produits en provenance de pays du Sud. Au fil des enquêtes d’opinion, les produits mentionnés comme étant les plus connus sont de loin le café (cité par 59% des répondants) et le chocolat/cacao (54%), suivi des bananes (36%)[iii]. En parallèle, les Belges accordent une importance significativement plus élevée aux produits locaux[iv], et sont 75 % à trouver que les produits équitables ne doivent pas se limiter aux produits en provenance de pays du Sud.
Les produits locaux équitables peuvent donc être un point d’entrée vers le commerce équitable, en montrant la complémentarité des gammes de produits. La notoriété d’un label « Prix Juste Producteur », dédié aux produits locaux doit aussi être renforcée.
Q: Veuillez classer les 5 types de produits selon l’importance que vous y accordez.
Source : Baromètre 2024 sur le commerce équitable
En conclusion
Bien que le commerce équitable jouisse d’une reconnaissance et d’une perception positive largement partagées, celles-ci ne se traduisent pas suffisamment en actes d’achat. Améliorer la situation nécessite de relever quelques défis, entre autres : travailler sur les prix réels et leur perception, diversifier l’offre des produits, sensibiliser les jeunes générations et utiliser les produits locaux comme porte d’entrée vers une plus grande consommation de produits équitables.
En somme, le commerce équitable jouit d’un énorme potentiel de progression en Belgique. Pour le concrétiser, il faudra conjuguer efforts de communication, innovations au niveau des produits, surtout ceux à destination des jeunes, et mise en avant de la dimension universelle (et pas seulement Nord-Sud) du commerce équitable.
Samuel Poos, Project manager du Trade for Development Centre d’Enabel.
[i] Source des chiffres : Baromètre 2024 du commerce équitable
[ii] Baromètre 2022 du commerce équitable.
[iii] Baromètre 2024 du commerce équitable
[iv] Il a été demandé aux répondants du Baromètre 2024 du commerce équitable de classer les 5 types de produits suivants selon l’importance qu’ils y accordent : biologiques, éthiques, équitables, durables et écologiques.